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Et ne m'en veux pas si je te tutoie, je dis tu à tous ceux que j'aime; même si je ne les ai vus qu'une seule fois. Je dis tu à tous ceux qui s'aiment; même si je ne les connais pas. (Barbara, Jacques Prévert)

mercredi 1 octobre 2003

Alternance Codique : lieu d’expression des Identités Culturelles.


Par Karina Atencio

In Identité culturelle dans le monde Luso- Hispanophone. Presses Universitaire de Nancy. 2003, 47-58.

Définitions : Identité, Culture, Alternance Codique.

La langue est un véhicule par lequel l’identité se donne à voir. Dés lors que nous repérons un accent, un dialecte « différent » des nôtres, nous essayons de deviner d’où vient cet individu, à quel groupe social il appartient. Nous procédons à sa catégorisation ou à son affiliation à un groupe ethnique, professionnel, à une classe socio-économique, etc. Ainsi, l’identité peut être imposée ou attribuée au cours des différents échanges quotidiens : « nous savons qui nous sommes parce que nous sommes entourés de gens qui nous le disent : le serveur qui me demande ‘ Vous êtes prêt à commander, monsieur ?’ » [RILEY, 2001 : 89].

La culture, telle que la définit l’anthropologie, est présentée comme  l’ensemble de tout ce qu’un individu doit savoir ou croire pour se comporter, pour agir de manière appropriée avec les membres d’un groupe et dans les situations auxquelles il se trouve confronté. La culture peut être considérée comme une/la théorie qui explique les pratiques quotidiennes, ainsi que la vision du monde des êtres humains.

Les recherches sur les rapports entre la langue et la culture montrent que là où certaines langues disposent de plusieurs termes pour se référer à certaines représentations du monde, d’autres n’en possèdent qu’un. Ainsi, dans l’exercice de la traduction, nous sommes confrontés à la difficulté de trouver le terme équivalent dans les deux langues (Langue A et Langue B) car la vision du monde désignée par le terme de la langue B, peut ne pas englober la réalité désignée par celui de la langue A. Dans cette optique, la langue renvoie à une conception particulière, spécifique du monde, parfois intraduisible dans une autre langue.

Par ailleurs, un individu peut se servir de la langue pour reproduire inconsciemment des modèles culturels. Le signifié d’un terme peut être lié à des groupes sociaux et culturels, à des circonstances qui vont au-delà de l’esprit humain : «  “chaque jour”, les gens créent, transforment et traitent des théories, comme le font les scientifiques. Cependant, “les explications”, “les modèles”, ou “les  théories” des gens sont souvent et en grande partie “inconscientes” » (GEE, 1999 : 43)1.

La langue offre un raccourci des théories ou des modèles culturels partagés au sein d’un groupe, en ce sens, ces modèles sont enracinés dans les pratiques socioculturelles et peuvent être tacites dans l’usage de la langue. Par exemple, en Amérique latine, le vocable Señorita ne sert pas seulement à désigner les jeunes filles et les femmes non mariées, il englobe aussi tout un idéal féminin élaboré autour de la virginité.

La façon dont nous utilisons la langue crée des espaces communs aux membres d’un groupe et aide à la construction d’une identité culturelle de type collectif qui renvoie à « un nous caractérisé par une série des déterminations permettant à chaque moi de se positionner par rapport à un  même autre, de se reconnaître dans une série de valeurs, de modèles et d’idéaux véhiculés par la collectivité à la quelle on s’identifie » [FRANCARD et al, 2003 : 156]. Cette collectivité est la culture : « réservoir inépuisable » [FRANCARD, ibid. : 157], espace commun d’entente, espace de reconnaissance dans lequel et à travers le quel se construit une identité.

Qu’est que c’est l’alternance codique2 ?

Lors d’un échange, les interlocuteurs peuvent avoir recours à un autre code ou bien faire des « allers et retours » entre deux (ou plusieurs) codes ou langues. Dans l’analyse de l’A.C, il faut distinguer l’emploi d’une langue matrice et d’une langue enchâssée (nous utiliserons les abréviations L.M et L.E). La L.M désigne les relations syntagmatiques dans un énoncé et la L.E les paradigmes qui sont ensuite insérés dans une langue matrice.

Nous tenterons d’analyser l’alternance codique en tant que pratique langagière (stratégie de communication) pouvant exprimer l’identité d’un groupe et utilisée afin d’établir un cadre commun de référence aux théories ou aux modèles culturels de ce groupe.

Problématique à étudier

Notre étude, qui porte sur un corpus de textes écrits, s’attache au phénomène de l’A.C analysé du point de vue sociolinguistique et observé au sein de la communauté des Latinos habitant aux Etats-Unis. C’est l’alternance entre l’espagnol et l’anglais en tant que manifestation d’une idéntité qui retiendra notre attention. Nous n’étudions pas le Spanglish 3, bien qu’il puisse apparaître dans le corpus ou qu’il puisse être considéré comme l’un des interlectes identitaires des Latinos, mais l’emploi de l’alternance entre l’espagnol et l’anglais comme stratégie d’affirmation de l’identité et de l’espace commun au groupe.

Dans la communauté des Latinos aux Etats-Unis, l’A.C devient une stratégie de communication employée dans le discours écrit. C’est le cas de la littérature chicana qui utilise l’A.C, d’une part, comme moyen d’expression d’une résistance entre la société américaine et la société latino-américaine et, d’autre part, comme une stratégie de manifestation des représentations et d’un espace de reconnaissance ( où le JE se reconnaît dans l’autre).

De même, l’A.C entre l’Espagnol et l’anglais est fréquemment utilisée sur les sites Internet des groupes militants Latinos, dans les magazines et les journaux adressés à la communauté. Les titres et les articles de ces magazines et de ces journaux présentent l’enchâssement de phrases et de mots en espagnol (L.E) dans les textes dont la L.M est l’anglais.

Corpus d’étude:

Nous avons choisi deux sources d’information : une revue bilingue adressée aux femmes latinos et un livre de littérature chicana dont l’auteur est d’origine mexicaine. La revue bilingue, Latina Magazine Bilingüe, est publiée aux Etats-Unis depuis 1996. Elle cible les femmes « BCBG » (bon chic bon genre). Le bilinguisme de la revue se manifeste par l’insertion de mots ou de phrases en espagnol dans le discours anglais et par un résumé en espagnol des articles rédigés en anglais. Notre analyse porte sur un corpus de quatre lettres d’éditeurs et de treize articles. Ces données sont tirées des numéros suivants de Latina Magazine Bilingüe :
  • le premier numéro publié en été 1996 ;
  • le numéro de décembre 1997 - janvier 1998 ;
  • les numéros d’août 1998 et décembre 1998 ;
  • les numéros d’octobre 2001 et décembre 2001 ;
  • le numéro d’avril 2002.
Quant aux données extraites de la littérature chicana, elles proviennent du livre The Borderland, publié aux Etats-Unis en 1987. Il examine la condition des femmes et des lesbiennes latinos ou chicanas dans la culture latino-américaine et dans la société américaine. The Borderland raconte l’enfance de l’auteure, Gloria Anzaldúa, née en 1942 au sud du Texas, de parents d’origine mexicaine. Dans cette œuvre, l’auteure rapporte cette expérience personnelle de se sentir prise entre deux cultures : la culture américaine et la culture de ses ancêtres mexicains. Les écrivains de cette littérature chicana avouent recourir à l’A.C entre l’espagnol et l’anglais pour dire ce contact des deux cultures. Cette A.C. peut inclure parfois d’autres langues, dialectes et interlectes, comme le náhuatl, le caló ou le spanglish. Les données que nous avons sélectionnées n’illustrent que l’A.C entre l’espagnol et l’anglais et quelques variations linguistiques de ces langues.


Méthodologie 

En ce qui concerne la méthodologie adoptée, nous avons relevé les termes qui, dans la langue enchâssée, montrent les caractéristiques indicielles de l’identité des Latinos (Voir liste ci-dessous).

1. Stéréotypes (termes portant sur le phénotype) : moreno/a, mestiza/o, curva et chicho latino 4
2. Stéréotypes (termes portant sur des stigmates) : hocicona, chismosa, habladora, repelona, callejera, agringada, burra, pedigüeña; gringo, blanquito ; mojado, atravesados, hispano
3. Identité ethnique (termes sur l’auto catégorisation du groupe) : latino, chicano, US latino
4. Identité ethnique (termes sur la solidarité envers le groupe) : mi gente, hermana/o, amiga/o, compañeras/os
5. Identité ethnique (termes portant sur des symboles ethniques) : virgen de Guadalupe, brujería, la chingada ; merengue,
salsa.
6. Identité ethnique (terme portant sur le mélange de cultures) : mestiza
7. Terme portant sur les rôles des membres de la famille : abuelita ou abuela, padres
8. Identité sexuelle : Femme : mujer, muchacha, chica, m’ija, linda,
quinceañera, señorita, niña

Après une lecture exhaustive du corpus, nous avons répéré ces termes portant sur les indices ainsi mentionnés. Il n’y a pas eu lieu de mesurer la fréquence d’apparition de ces termes car ils n’apparaissent pas de manière réitérative. Cependant, les caractéristiques indicielles sont souvent évoquées à partir des termes employés dans la L.E.
Nous avons choisi exclusivement des termes qui renvoient principalement à des représentations, images ou modèles culturels. Car, ces représentations encodent un(des) trait(s) clé(s) de l’identité du groupe, d’une identité qui se construit ou se manifeste à partir de l’A.C.

L’étude : Pourquoi l’A.C évoque-elle des représentations ou, des modèles culturels?

Dans les textes de notre corpus, l’A.C. est utilisée pour communiquer avec autrui à travers les représentations. Des termes dans la langue enchâssée « évoquent quelque chose en nous [les lecteurs] » [DORTIER, 2002 : 24], ils disent les représentations et les modèles culturels qui vont définir un cadre commun de référence pour la communication et la transmission d’une intention, d’un savoir.
Pour déterminer le sens de ces termes employés en A.C, l’énonciateur ou le scripteur se sert des représentations ou des modèles culturels que les individus (les lecteurs) ou lui peuvent avoir encodés en mémoire. L’énonciateur est intéressé par un sens particulier qui fait partie du sens commun, du sous-entendu, de l’implicite, de la vie quotidienne.

Des termes ayant des caractéristiques indicielles qui identifient les Latinos 

Comme nous l’avons mentionné antérieurement, nous avons analysé des termes employés dans la langue enchâssée pour repérer les caractéristiques indicielles à partir desquelles l’identité latino est définie. Dans notre corpus, les termes en A.C évoquent des aspects concernant l’âge et l’identité sexuelle du scripteur et du public lecteur. D’autres termes en A.C portent sur des rôles sociaux, des stéréotypes, l’identité ethnique du groupe. Ces termes nous permettront d’observer si l’A.C est uniquement utilisée pour représenter le système des valeurs latino-américaines ou si elle est également utilisée pour porter des jugements sur le système des valeurs américain.

Etant donné le temps qui nous est imparti, nous n’utilisons qu’un échantillonage réduit : 13 échantillons qui concernent les termes en Alternance Codique portant sur des stigmates ou sur les rôles des membres de la famille. Cependant, nous tenons à mentionner que nos conclusions ont été faites à partir de l’analyse de l’ensemble du corpus.

a. Termes portant sur des stigmates :
Des termes en A.C sont employés pour relever des stigmates d’un groupe déterminé ou de certains de ses membres. Ces stigmates peuvent désigner :
  • Les perceptions des membres d’un endogroupe (in-group) sur certains de leurs membres
  • les perceptions d’un endogroupe sur un exogroupe (out-group)
  • les perceptions d’un exogroupe sur un endogroupe

1. Stigmates imposés par les membres de l’endogroupe à certains de leurs membres:

Dans le livre The Borderland, quand l’auteure raconte son expérience en tant que mexicaine, elle recourt à des termes qui, en espagnol, marquent les stigmates de la femme à l’intérieur de son groupe ethnique. Ces stéréotypes représentent certains jugements de l’endogroupe (les mexicains, les latino- américains) envers la femme. Ces termes en A.C mettent l’accent sur les modèles culturels qui considèrent que « les femmes [“décentes” sont celles] qui se consacrent au foyer [au mari] et aux enfants […]. Les autres ne pourront être alors que des filles de rue ou des prostituées » [LEPRI, 1991 : 31 ].

Observons les exemples suivants tirés du livre The Borderland : les termes en espagnol sont employés pour accentuer le désaccord de l’auteure avec les jugements sur les femmes qui ne se laissent pas soumettre par la culture et l’homme machiste.

  • Hocicona, chismosa, habladora, repelona, callejera :

Ces termes font partie de l’argot latino-américain. Hocicona et chismosa représentent principalement la femme qui parle trop, qui colporte des ragots et incapable de garder les secrets. Le terme habladora, il désigne la femme qui ne raconte pas toujours la vérité ou encore la femme qui parle seulement dans le but de provoquer de l’admiration. Le terme repelona caractérise la femme qui s’oppose ou refuse les points de vue des autres.

Dans le livre qui nous occupe, les termes hocicona, chismosa et repelona caractérisent principalement la femme qui exprime son désaccord ou son opinion librement ou qui ose s’opposer aux valeurs du groupe comme l’indique les exemples suivants où apparaissent ces termes :

1. En bocas cerradas no entran moscas. “Flies don’t enter a closed mouth” is a saying I keep hearing when I was a child. […] habladora […], hocicona, repelona, chismosa, having a big mouth, questioning, carrying tales are all signs of being mal criada. (Anzaldúa 1987 : 54)

2. How many times have I heard mothers and mothers-in-law tell their sons to beat their wives for not obeying them, for being hociconas (big mouth), for being callejeras (going to gossip with neighbors) […] for wanting to be something other than housewives? (Anzaldúa 1987: 16)

Les termes hocicona, habladora, repelona, chismosa (voir exemple 1 (ligne 2 ) et exemple 2 ligne 2) sont employés pour désigner une personne non respectueuse des jugements émis par les parents ou les personnes dépositaires de l’autorité du groupe, par le seul fait d’exprimer son avis sur les dits jugements. De même, dans l’exemple 2, l’auteur emploie le terme callejera. Ce terme est normalement appliqué à une femme qui se prostitue. Ici, le terme désigne une femme qui n’est jamais à la maison et ne s’occupe ni de son mari et ni de ses enfants.

  • Burra :
Ce terme peut être employé de façon péjorative pour désigner une personne considérée comme ignorante, mais il peut aussi qualifier une personne qui travaille beaucoup ou qui est soumise à de lourdes charges de travail. Dans l’exemple que nous proposons, Anzaldúa compare la femme chicana à une ânesse (burra) donnant à manifester ainsi ce qu’elle considère être une domination et une humiliation imposée par la culture aux femmes chicanas : le terme burra catégorise ainsi la femme comme soumise et contrainte de supporter la domination de la culture sans se rebeller.

3. I abhor some of my culture’s way, how it cripples its women, como burras, our strengths used against us, lowly burras bearing humility with dignity (Anzaldúa 1987: 21)


 
  • Agringada :
C’est un terme employé par les latino-américains pour désigner une personne qui est influencée ou acculturée par la société américaine et qui préfère la culture américaine à la culture de son ethnie.

4. If a person, Chicana or Latina, has a low estimation of my native tongue, she also has a low estimation of me. Often with mexicanas y latinas we’ll speak English neutral language […] Yet, at the same time, we’re afraid the other will think we’re agringadas because we don’t speak Chicano Spanish. (Anzaldúa 1987: 58)

Nous pouvons déduire qu’à partir des termes hocicona, chismosa, habladora, repelona, callejera, burra, le scripteur révèle un aspect de l’identité latino qui consiste à rejeter des valeurs de la société latino-américaine qui ne s’accordent pas avec les nouvelles valeurs des Latinos ou des nouvelles générations. Avec le terme agringada, le scripteur ne communique pas seulement l’état d’acculturation5 mais aussi le conflit d’identité des Latinos : placés entre deux cultures — et quel que soit leur choix— ils n’échappent pas au jugement social.

2. Termes imposés par l’endogroupe à l’exogroupe:

Le terme suivant est un terme que les latino-américains et les latinos emploient pour identifier les américains des Etats-Unis.

  • Gringo :
C’est un terme de l’argot qui désigne quelqu’un qui est blond et dont la langue est étrangère. De même, il est utilisé en Amérique latine pour décrire de façon péjorative les Américains des Etats-Unis. Le terme Gringo apparaît souvent dans la littérature chicana pour signaler le pouvoir que la société américaine exerce sur les Latinos et l’Amérique latine (voir exemple ci-dessous).

5. The Gringo, locked into the fiction of white superiority, seized complete political power, stripping Indians and Mexicans of their land while their feet were still rooted in it. (Anzaldúa 1987: 7-8)

Ce terme permet non seulement d’identifier la société américaine comme l’exogroupe mais aussi de constater que ce groupe fait partie du contact quotidien. Un contact qui rappelle les conflits, les rejets et les différences entre l’ethnie dominante (les américains) et l’ethnie minoritaire (les latinos). D’autres termes en A.C sont employés par les Latinos pour désigner les américains des Etat-Unis : par exemple, blanquito, americana, rubia.

3. Termes imposés par l’exogroupe à l’endogroupe :

Les termes suivants sont ceux que les Américains emploient pour identifier les Latino-américains et leurs descendants.

  • Mojados ou wetback :
Ce terme est employé pour désigner principalement les immigrants illégaux qui traversent le Rio Grande situé entre la frontière du Mexique et les Etats-Unis.
6. Without benefit of bridges, the mojados (wetbacks) float on inflatable rafts across el río Grande, or wade or swim across naked, clutching their clothes over their heads. (Anzaldúa 1987: 11).

  • Hispano / hispanic :
Ce terme a été choisi par le gouvernement américain en 1978 pour designer les Latino-américains et leurs descendants habitant aux Etats-Unis. Il a été rejeté par le mouvement militant de l’ethnie car il s’agissait d’un terme imposé par le gouvernement. Alors que les militants de l’ethnie plaident pour le terme Latino, le gouvernement américain s’entête à employer le terme Hispano/ Hispanic. De nos jours, ces deux termes sont utilisés de façon interchangeable, ce qui montre une réalité confuse et ambiguë où il est difficile de déchiffrer les intentions encodées dans ces catégories (voir les exemples ci-dessous ).

7. Yet Hispana women in the U.S. are eight million strong. We ennoble this country with our work, our beauty, our talents, our culture. We are first, second and third generation Americans. We come from Mexico, the Caribbean, and south America in colors too rich and varied to catalogue. We come with language, with our brand of orgullo. (Latina Magazine Summer 1996: 6)

8. Santos is the first woman, first Hispanic, and the youngest person ever elected treasurer of Chicago. She is also the first Latina ever to beat the Democratic machine that’s run Chicago almost as long as the PRI has run Mexico. The first Hispana to take on the ol’boys’s club and win.(Latina Magazine, Dec. and Jan. 1997): 52-54)

9. I define myself as a Latina, but for me to really own that, I needed to have the language. (Latina Summer 1996: 92).

Les Latinos ont une stratégie d’auto-catégorisation qui consiste à choisir leurs propres termes d’identification, comme par exemple le terme Latino (voir exemple 9). Cette auto-catégorisation adoptée par les Latinos peut être considérée comme  un moyen d’échapper aux connotations négatives, comme un essai d’unification ethnique et enfin comme une des séquelles du mouvement de réveil ethnique (Revival of ethincity )6 ou de l’ethnicité symbolique (Symbolique ethnicity)7 des années soixante et soixante-dix.

L’auto-catégorisation des Latinos peut également mettre en évidence leur revendication de la citoyenneté américaine. En effet, l’emploi de la catégorie de l’étranger naturalisé (Hyphenated American : Mexican – American,...) fait référence, d’une part, aux racines d’héritage et au droit d’être reconnu comme des américains, mais peut montrer, d’autre part, l’incessante négociation entre les valeurs américaines et les valeurs latino-américaines ( voir exemple ci dessous).

10. I’m a U.S Latina. Yes, I speak English. And I have a law degree. But when I look in the mirror, I see in the dark hair and brown eyes of my mestizo ancestor ( Latina Summer 1996: 6)

b. Membres de la famille et rôle sociaux :
Autant dans le magazine Latina que dans le livre The borderland, l’énonciateur se sert de l’A.C pour mettre en valeur certaines caractéristiques de la famille. Les termes en A.C qui identifient les membres de la famille évoquent parfois la dépendance économique psychologique et l’autoritarisme que peuvent exister au sein de la famille latino-américaine.

  • Abuelita ou abuela:
L’exemple qui suit correspond au sous-titre d’un article qui traite des secrets de beauté. Dans ce sous-titre, le terme abuelita évoque des pratiques traditionnelles et ancestrales concernant les soins de leur peau.
11. Family beauty secrets. “This has been passed down from my abuelita. […](Latina avril 2002: 42)
Dans cet exemple, l’énonciateur peut chercher, d’une part, à évoquer les coutumes d’une génération, d’autre part, à rappeler l’expérience ou la sagesse parfois attribuée aux personnes âgées.


  • Padres, familia :
Les termes Padres, familia sont souvent employés pour insister sur l’autorité que les parents exercent sur leurs enfants jusqu'à un âge tardif (voir exemple ci-dessous), ainsi que pour mettre l’accent sur l’attachement familial qui pourrait caractériser les Latino-américains.

12.Respeto carries with it a set of rules so that social categories and hierarchies will be kept in order: respect is reserved for la abuela, papá, el patron, those with power in the community. (Anzaldúa 1987: 18)

L’exemple qui suit, tiré d’un article du magazine Latina qui aborde le sujet de l’indépendance familiale, montre également l’association entre les membres de la famille et le pouvoir qui est attribué à certains d’entre eux.

13. As most Latinas know, it isn’t always easy to argue with our family. Getting padres, abuelas, and tíos to loosen their control can prove an impossible task. (Latina avril 2002: 65 )
Les termes padres (parents), abuelas (grands-mères), tíos (oncles), permettent de préciser qui sont les membres de la famille qui exercent le contrôle sur les moins âgés ou les plus dépendants de la famille.

Conclusion 

Dans la communauté des Latinos, les auteurs de la littérature chicana affirment se servir de l’A.C comme mode d’expression et de réaction, parfaitement consciente et calculée, face à la remise en question de leurs valeurs personnelles et face aux pressions de leurs cultures d’origines.

En revanche, dans la presse bilingue, les scripteurs ne manifestent pas explicitement leurs raisons pour se servir de l’A.C. Quoique qu’il en soit, explicitement ou implicitement, dans les deux cas, l’A.C dévoile des stratégies identitaires adoptées dans la société d’accueil par ce groupe. Face à l’hétérogénéité culturelle tout immigré élabore des stratégies pour maintenir et définir son identité, et, d’autant plus si ses valeurs personnelles et son appartenance à un groupe sont remises en question. Ainsi, dans le livre The Borderland et dans le magazine Latina, nous avons observé que les scripteurs adoptent une identité critique dès qu’ils se sentent atteints dans leurs valeurs personnelles. Ils «[acceptent] certains jugements négatifs et [ils] en [rejettent] d’autres » [CAMILLERI, 1996 :  255]. Ce qui peut, certes, favoriser l’intégration8 dans la société d’accueil.

Dans les exemples d’A.C étudiés, nous avons constaté également qu’à partir de l’A.C les scripteurs jugent et fabriquent l’image du monde. Ils montrent leur acceptation de ce qui leur convient à l’intérieur de ce monde.

Dans le discours de Latina et The Borderland, les scripteurs expriment une sorte de souffrance conséquence des exigences imposées par la culture latino-américaine et la culture américaine. Face à ces contradictions, d’une part, ils façonnent leur propre identité, ils fabriquent une  identité syncrétique,9  d’autre part, ils peuvent jouer de l’alternance de comportements, relevant de l’une ou l’autre culture, mais sans les confronter (cf. ils se comportent comme des Latinos en milieu latino, ils se comportent comme des Américains en milieu américain).

Ainsi, l’A.C est employée pour montrer des traits d’identité syncrétique et critique que les latinos s’efforcent de construire autant pour eux- mêmes que pour la société.

En ce qui concerne les fonctions de l’A.C dans notre corpus, elles sont semblables aux fonctions du discours oral. Par exemple l’A.C peut être utilisée pour rapporter un discours, pour réitérer, lancer des interjections, qualifier un message, pratiquer l’humour, exclure ou inclure des individus. Elle peut aussi être utilisée comme une aide lexicale lorsque des notions semblent être intraduisibles d’une langue à l’une autre langue.

D’une façon plus générale, dans le discours de Latina et The Borderland, nous pouvons déterminer pour l’A.C. une fonction de moyen dans la mesure où elle est utilisée pour établir un cadre commun de référence, pour rappeler un savoir qui fait partie du sens commun. Le scripteur, à partir de certains emplois de la langue, pourrait chercher à donner avec exactitude et sans réserves les perceptions de ce(s) monde(s) et de son/leurs systèmes de valeurs. Le scripteur peut, de même, avoir recours à la langue pour présenter une chose dont le sens est unique et exclusif dans le groupe social auquel il appartient. Pourtant, cette chose, pour lui, devient intraduisible ou inexprimable dans une autre langue. L’A.C enfin est un moyen, un véhicule qui sert à transmettre une identité au stade de la négociation et de la construction.

Bibliographie

C. CAMILLERI, « Les stratégies identitaires des immigrés », in L’identité, Jean-Claude Ruano-Borbalan (coord), Auxerre, Editions Sciences Humaines, 1998.
P. CHLOROS-GARDNER, «Code-switching : approches principales et perspectives», La linguistique, 19/2, 1985, pp 21-53.
J.-F, DORTIER, «L’univers des représentations ou l’imaginaire de la grenouille », Sciences Humaines, n°128, juin 2002, pp 24-31.
Michel FRANCARD et al, Dictionnaire de l’altérité et des relations, in Gilles FERREOL et Guy JUCQUOIS (Dir), Paris, Armand Colin, 2003, pp 155-161.
James Paul GEE, An Introduction to Discourse Analysis: Theory and Method, London, Routledge, 1990, pp 40-79.
Ward GOODENOUGH, « Cultural Anthropology and Linguistics », in P. L. GARVIN (ed), Report of the Seventh Round Table Meeting on Linguistics and Language Study, Washington D.C., George Town University Press, 1957, pp 167-181.
Jane HILL et al, Speaking Mexicano: Dynamics of Syncretic Language in Central Mexico, The University of Arizona Press, Tucson, 1986.
J.P. LEPRI, Images de la femme dans les annonces publicitaires des quotidiens au Mexique, Lyon, Voie Livres, 1991.
Philip RILEY, « ‘Allô – Je parle à qui’ ? Salutations, communion phatique et négociations d’identités sociales », Le français dans le monde, No Spécial, Janvier 2001, pp 87-96.
G. VALDÈS-FAILLIS, «The Sociolinguistics of Chicano Literature, Toward an Analysis of the Role and Function of Language Alternation in Contemporary Bilingual Poetry», Point of Contact / Punto de Contato, n° 17, 1977, pp 65-72.


Références pour citer cette article :
Atencio Karina, «Alternance Codique : lieu d’expression des Identités Culturelles». Identité culturelle dans le monde Luso- Hispanophone. Presses Universitaire de Nancy. 2003, pp47-58.




1 Traduit par nos soins « “everyday” people form, transform, and deal with “theories” just as much as scientistics do. However, everyday people’s “explanation,” “models,” or “theories,” are very often largely unconscious »


2 Nous utiliserons l’abréviation A.C pour désigner l’alternance codique.

3 Il s’agit d’un mélange de langues issu de l’influence de l’anglais sur l’espagnol.

4 Les termes curva et chicho latino renvoient à caderona (femme dont les hanches sont saillantes).

5 Implication exclusive dans la société américaine.

6 Le sociologue américain, Joshua Fishman a nommé comme le “Revival of Ethnicity,” l’intérêt que, pendant les années soixante et soixante-dix, aux Etats-Unis, la troisième génération des immigrants a montré pour le groupe d’origine et pour l’identité culturelle.


7 En 1979 Herbert Gans qualifie ce réveil ethnique d’évidence romantique, d’amour et de fierté pour les traditions. De même, il soutient que l’évidence de cette ethnicité symbolique était une nouvelle forme d’acculturation.

8 « Stratégie qui consiste à adopter des traits de l’étranger tout en conservant un certain nombre de références de la culture d’origine » [ CAMILLERI 1996 : 255].


9 « un  syncrétisme stratégique [est] une démarche qui a consisté à se définir par rapport à l’autre en lui empruntant ses traits culturels les plus prestigieux et les plus efficaces. » [BAYART, 1996 :339].